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Maraicher d’Annemasse, au nom du respect de l’environnement

Coup de théâtre dans l’affaire du maraicher d’Annemasse : une étude scientifique poussée du terrain démontre qu’il est inconstructible, et qu’il est donc impossible d’y mettre quelque immeuble que ce soit en lieu et place des serres. Motif : le sous-sol est une tourbière, et le terrain est donc régi par la loi sur l’eau.

Pour ceux qui découvrent l’affaire, un rapide rappel des événements précédents (pour les détails, je vous invite à lire les articles mentionnés en liens à la fin de celui-ci). La municipalité d’Annemasse a décidé d’un projet consistant à réhabiliter une terre maraichère en plusieurs morceaux : une mosquée, un parc, des immeubles. Problème, et de taille, le foncier ne manque pas pour réaliser ces projets ailleurs, alors que l’exploitation maraichère est économiquement viable grâce au marché de la toute proche Genève, et qu’elle emploie 15 salariés. Pour autant, et malgré nos démonstrations sur WikiAgri, la municipalité s’entête dans son projet.

Coup de théâtre, une tourbière !

Nous en sommes là, dans une voie sans issue… Oui mais voilà, Pierre Grandchamp, le maraicher, ne s’avoue pas vaincu. Au contraire. D’où un fait nouveau, un véritable coup de théâtre ! Il a commandé une étude de son terrain, auprès d’un expert reconnu en France, et surtout officiellement, Noël Chalumeau, qui lui a été chaudement recommandé par Carole Zakine, docteur en droit de l’environnement, responsable du pôle Réflexion et développement durable de la SAF Agriculteurs de France. Noël Chalumeau, établi dans le Jura, est donc venu à Annemasse, a sondé le terrain, et qu’a-t-il découvert ? Qu’il s’agit d’une tourbière ! D’une zone humide, protégée par les lois environnementales en France et en particulier par la loi sur l’eau.

Aucune entité que ce soit, pas même une municipalité, ne peut construire sur une zone humide identifiée comme un site remarquable sans violer sciemment les lois de la République française sur l’environnement !

La protection de la zone humide assumée par le maraicher

Carole Zakine, par ailleurs auteur d’une note sur l’eau pour la SAF (célèbre think thank agricole, lien vers le texte de la note à la fin de cet article), explique ainsi le contexte : « L’analyse du droit de l’eau en France est souvent considérée comme une atteinte aux productions agricoles. Or, la protection des zones humides ne concerne pas que les associations environnementales. Les lois qui les régissent peuvent aussi être utilisées par les agriculteurs. Tout le monde doit s’y soumettre, et bien souvent les agriculteurs sont les meilleurs garants de cette préservation. Un agriculteur n’est pas forcément un destructeur de zones humides, au contraire, parfois, il arrive à mener de front une activité économique tout en préservant la terre de toute artificialisation. Ce qui n’est évidemment absolument plus le cas lorsqu’il s’agit de construire des édifices sur le site… L’action du maraicher d’Annemasse est un parfait exemple d’un agriculteur qui protège un site remarquable du point de vue environnemental.« 

Concernant l’étude du terrain de Pierre Grandchamp, WikiAgri a joint Noël Chalumeau. Son entreprise, Chalumeau, propose des solutions de drainage pour les particuliers et les professionnels. Et il est président-fondateur de l’association Andhar (association nationale de drainage et d’hydraulique agricole responsable).

« C’est scientifiquement prouvé ! »

Il explique : « J’ai fait sur le terrain de Pierre Grandchamp ce que je fais chez tous mes clients avant n’importe quelle action de drainage. A savoir, l’étude du terrain, car dans le cas d’une zone humide, la législation est sévère et compliquée. Or, dans son cas, il n’y a aucune contestation possible, c’est scientifiquement prouvé, nous sommes dans le cas d’une tourbière. D’une zone humide réglementée. Il ne suffit pas qu’il y ait de l’humidité dans le sol, cela se voit aux traces végétales que l’on trouve en profondeur dans le sol. »

Que représente une tourbière ? Pourquoi est-ce si important d’un point de vue environnemental ? Noël Chalumeau répond : « Les tourbières sont des milieux rares. La présence d’eau dans le sous-sol fait vivre quantité d’organismes. On en permanence un stockage du carbone, tant et si bien que l’eau qui y circule est purifiée. A mon sens, il ne faut jamais toucher aux tourbières. Au sens de la loi, c’est possible, mais avec de grosses contreparties réglementaires…« 

Réglementairement : éviter, réduire, compenser

Dès lors, que dit la loi ? « C’est très clair, reprend Noël Chalumeau. Une municipalité ne peut pas choisir toute seule d’aller construire sur une tourbière. Ces sites remarquables d’un point de vue environnemental sont soumis à une réglementation stricte. La préfecture doit se livrer à une enquête préliminaire qui consiste notamment en une étude d’impact. Dès lors qu’elle confirme la tourbière – et en l’occurrence il n’y a aucun doute – nous passons sur trois axes : éviter, réduire, compenser. Eviter, cela signifie abandonner le projet. Réduire, c’est réduire son impact sur le site environnemental. Compenser, c’est si vraiment il n’existe aucune autre solution – ça arrive dans le cas de mise en place de monuments exceptionnels, comme les lignes ferroviaires à grande vitesse qui forcément vont tout droit – alors il faut reproduire ailleurs le double de surface de zone humide que celle que l’on a détruit.« 

Les contraintes environnementales désormais obligatoires pour la municipalité

En d’autres termes, dans l’hypothèse d’une vocation municipale d’aller à tout prix construire sur la terre maraichère, donc sur la tourbière, cela signifierait de nombreuses démarches administratives, doublées d’une facture particulièrement salée 1. pour reproduire le double de surface en zone humide en un autre lieu ; 2. pour renforcer le terrain et permettre aux fondations d’aller sous la tourbière afin d’éviter tout risque d’effondrement ultérieur : c’est techniquement possible, on sait creuser au-delà de 30 mètres, mais ça coûte une fortune !

La reconnaissance de la tourbière n’empêche-t-elle pas dans ce cas des cultures maraichères ? Sur ce point Noël Chalumeau rejoint Carole Zakine : « Dès lors qu’il n’y a pas de drainage, que l’histosol (Ndlr : tourbière) est respecté, rien n’empêche les cultures. Au contraire, elles contribuent à préserver le site. »

Qui va payer ?

Lors de nos articles précédents (en particulier celui intitulé « la solution existe »), nous avons démontré qu’il n’y avait aucune raison économique pour arrêter l’activité maraichère bénéficiant d’un marché propice avec la zone franche et Genève ; aucune raison sociale puisque arrêter l’exploitation mettait au chômage 15 salariés dont nous avons d’ailleurs recueilli les témoignages ; aucune raison religieuse puisque la mosquée peut aussi être construite sur une friche, le site d’un ancien hôpital…

Aujourd’hui, nous démontrons qu’il n’existe aucune raison environnementale, au contraire, puisqu’en voulant aménager le site on risque ni plus ni moins d’aller à l’encontre des lois de la République française sur la protection de l’environnement. 

Et si tout ça ne suffit pas, alors il reste l’argument massue : QUI VA PAYER ? La facture environnementale, qui promet d’être monumentale, peut-elle être supportée par la municipalité d’Annemasse, donc par ses contribuables ? La partie ‘mosquée’ verrait de fait sa facture s’envoler, la communauté musulmane peut-elle se le permettre ?

Pierre Grandchamp, pour sa part, réagit ainsi : « Mes certitudes de départ concernant ce terrain se trouve confirmées, c’est-à-dire une zone très humide bordée de sources et de ruisseaux qui coulent même en période de sècheresse, nappes phréatiques à 80 centimètres. Nous avons pu rendre cultivable cette zone grâce à nos travaux très respectueux du terrain d’origine, travaux étalés sur une trentaine d’année. Ce terrain ne doit pas, et ne peut pas, être ni bétonné, ni construit, mais rester à vocation agricole. Et je réitère ma demande de rachat de ce terrain qui m’a été enlevé par une préemption que j’ai toujours contestée, et de bonne fois car inutile. Ce terrain n’a d’ailleurs jamais fait l’objet d’un quelconque projet par la ville depuis ce temps-là, si ce n’est aujourd’hui par un acharnement désormais remis en cause par la loi.« 

Et si, dans ce dossier, on parlait enfin d’une notion bien connue en agriculture mais visiblement oubliée dans les sphères politisées : le bon sens ?

 

En savoir plus : http://www.agriculteursdefrance.com/Upload/Travaux/Fic-1_1148.pdf (la note sur l’eau de la SAF, « les agriculteurs producteurs d’eau potable », rédigée par Carole Zakine) ; https://wikiagri.fr/articles/journee-mondiale-des-zones-humides-des-siecles-de-partenariats-avec-lagriculture/920 (tribune écrite par Carole Zakine sur les zones humides) ; https://wikiagri.fr/articles/lexpropriation-revoltante-du-maraicher-dannemasse/772 (l’article qui dénonçait l’expropriation du maraicher d’Annemasse) ; https://wikiagri.fr/articles/maraicher-dannemasse-la-solution-existe/817 (reportage complet de WikiAgri à Annemasse, article très long à lire, mais très complet, étayé de nombreuses données sociales, économiques, religieuses…) ; http://www.drainageagricole.com/index.htm (site internet de l’entreprise de drainage de Noël Chalumeau) ; http://andhar.fr (site internet de l’association Andhar).

Ci-dessous : court extrait imagé du rapport de Noël Chalumeau sur le terrain de Pierre Grandchamp. « Histosol« , c’est le « mot savant » pour « tourbière« .

Ci-dessous : photo issue de notre reportage réalisé en octobre dernier sur site. Désormais on sait que sous ces choux chinois (récoltés depuis), il y a une tourbière, soit un site environnemental remarquable qu’il faut protéger

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