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L’histoire du jeune qui s’installe avec une « autre » banque

Dans le Cantal, il a fallu une grève de la faim du père pour que le fils puisse s’installer. Alors que le dossier d’installation était complet et validé par la Chambre d’Agriculture, le Crédit Agricole refusait l’obtention du prêt sans informer de ses raisons. Finalement, une autre banque (la Banque Populaire) a permis cette installation.

Cette histoire très locale ne va pas manquer d’avoir des répercussions nationales. Comment le Crédit Agricole, avec le nom qu’il porte et son implantation dans la profession, peut refuser de débloquer les fonds d’une installation validée (et sérieusement) par une Chambre d’agriculture ? N’existe-t-il pas un malaise plus profond que, disons, une maladresse localisée ? Le Crédit Agricole serait-il en train d’oublier sa vocation initiale, aider les agriculteurs à réaliser leurs investissements ?

Mais avant de revenir à ce débat, place aux faits, en commençant par le début.

La situation

Nous sommes à Le Rouget, dans le Cantal. Raymond et Nathalie Monier ont un fils de 20 ans, Dominique. Ils sont éleveurs, ont commencé avec 40 vaches de race limousine, font de la sélection. « Il y a 5 ans, explique Nathalie Monier, notre fils nous a dit qu’il voulait devenir agriculteur. Depuis, nous préparons son installation. Notre cheptel s’est agrandi, nous avons désormais 80 vaches et 300 chèvres, pour lui, qu’il n’ait pas cet investissement là à faire. Qu’il ne lui reste que le foncier. » Dominique Monier passe ses diplômes, obtient son BPREA. Et justement, une ferme se libère, qui correspond à son projet d’installation, avec des bâtiments dessus, à quelques kilomètres seulement des terres familiales. Parmi les repreneurs potentiels, il est le seul jeune à installer. Le dossier est monté conjointement par le comptable de la famille et les services de la Chambre d’agriculture. Il faut un emprunt de 600 000 € pour acheter la ferme, ce qui ne doit poser aucun problème de l’avis des différents acteurs du dossier. « Nous avions même calculé un prix du lait légèrement plus bas que celui de l’année dernière, reprend Nathalie Monier, pour que notre fils puisse faire face à une année mauvaise éventuelle…« 

Les différents services semblent d’accord, de la Safer à la Chambre d’agriculture, en passant par le Crédit Agricole, un conseiller assurant la famille Monier qu’il n’y aurait aucun problème. « Et puis les jours ont passé, reprend Nathalie Monier. Nous devions avoir une réponse de la banque entre 3 et 7 jours, et au bout de 15 jours, rien. Pas un courrier, pas un coup de fil. Le problème est que nous étions pris par le temps, la Safer devait acter la vente au plus tard le 25 mars. Et nous ne pouvions pas imaginer que le Crédit Agricole nous refuse le prêt, puisque nous sommes chez eux depuis 25 ans, que nous allons finir de rembourser notre ferme avec bâtiments et notre maison l’année prochaine, et qu’il ne nous restera alors que notre chèvrerie…« 

Bras de fer, famille d’agriculteurs vs banque !

« Mais le plus dur, explique son mari, Raymond Monier, c’est d’apprendre le refus du prêt « par la campagne ». Par d’autres qui l’ont su avant nous. Et sans jamais une explication du Crédit Agricole.« 

Dès lors, le temps manque. La famille Monier obtient un sursis d’une semaine de la Safer, le temps de trouver une solution alternative. Nathalie Monier reprend : « Le Crédit Mutuel et le CIC demandaient un PDE, soit une étude préalable à l’installation à la fois payante et longue à réaliser, trop longue pour nos délais. Finalement, la Banque Populaire fut la seule banque à venir nous voir chez nous, à prendre des photos, à étudier de près notre cas.« 

Happy end

Mais le délai est tel que les Monier agissent. Le mercredi 2 avril, avant-veille de l’échéance, Raymond Monier décide de faire une grève de la faim à la Chambre d’agriculture d’Aurillac (« j’ai choisi la chambre d’agriculture, car le dossier y avait été construit« , explique-t-il). France3 Auvergne médiatise l’événement (lien en fin d’article). Dès lors, les choses se décantent, et le jeudi soir à 18 heures, après une nuit passée dehors devant la Chambre (« ça m’a permis de comprendre la misère des Sdf, surtout quand l’un d’entre eux a voulu me voler un carton« ), Raymond Monier reçoit un coup de téléphone l’assurant que le prêt serait accordé. On lui demande même de signer de suite, « ce que j’ai refusé, car je savais que la Banque Populaire me répondrait le vendredi, dernier jour« .

Finalement, le lendemain, vendredi 4 avril, dernier jour pour le prêt, la Banque Populaire accepte. « Nous étions tellement rassurés, ont commenté tant Nathalie que Raymond Monier, car nous ne nous voyions pas continuer dans ces conditions avec le Crédit Agricole. Et surtout pour notre fils. Tout était réuni pour qu’il s’installe là. Le dossier était parfait. Sinon, il aurait dû attendre notre retraite, et nous avons 45 et 46 ans. Parallèlement, nous avions graduellement augmenté l’activité de la ferme pour son installation, avec un apprenti et un salarié. Nous avions cinq emplois en jeu. » Raymond Monier ajoute : « En plus, la Banque Populaire nous a fait un taux plus intéressant…« 

D’autres acteurs du dossier

Les Monier ont relevé plusieurs aspects dans leur mésaventure. D’abord que certaines connaissances leur demandaient de ne pas aller au clash avec la grève de la faim, de crainte des retombées avec le Crédit Agricole. « La solidarité n’est plus ce qu’elle était, soupirent les Monier. Même au sein de notre Cuma…« 

Parallèlement, ils ont apprécié des soutiens. Celui de Baptiste Servans par exemple, un personnage connu dans le Cantal pour ses positions prononcées, et qui s’est d’ailleurs plusieurs fois présenté à des élections politiques sous l’étiquette Front de gauche. Joint au téléphone, cet « agitateur », créateur du Syndicat des mécontents du système agricole (dont l’influence est juste départementale), ne mâche pas ses mots sur l’affaire : « Tout est fait contre les agriculteurs. Nous sommes dans un système où tout le monde se tient et plus personne n’ose rien dire. Pour les installations, on ne regarde plus les coûts de production, mais les copains des copains. Dans 10 ans, vous me rappellerez, vous verrez, il y aura dix fois moins d’agriculteurs… » Raymond Monier ne « partage pas les opinions politiques de Baptiste Servans« , mais assure qu’il « faut des hommes comme lui, qui ne pensent pas à eux, pour faire bouger les choses et vaincre les injustices« . Il a d’ailleurs adhéré à ce Syndicat des mécontents, et vient d’en devenir administrateur.

Un autre nom est cité fréquemment, celui Patrick Escure, président de la Chambre d’agriculture du Cantal. Cité en bien, tant par la famille Monier que par Baptiste Servans. Raymond Monier précise ainsi : « Je ne suis pas à la Fédé comme lui, et pourtant il a fait son boulot, il a permis que la situation se débloque, c’est à lui que l’on doit le fait que le Crédit Agricole ait finalement accordé le prêt, même si nous avons préféré, étant donné le contexte, choisir la Banque Populaire. Je salue ce qu’il a fait. » Joint au téléphone, Patrick Escure n’a pas souhaité apporter de témoignage supplémentaire.

Autre acteur, enfin, évidemment, le Crédit Agricole. Joint au téléphone, le responsable de la communication du Crédit Agricole Centre-France (siège à Clermont-Ferrand) a invoqué, je cite, le « secret bancaire » pour n’apporter « aucun commentaire« . Je lui ai tout de même demandé s’il était désormais courant de ne pas se déplacer pour un dossier de 600 000 €, il m’a répondu que « la majorité des agriculteurs ne sont pas chez nous par hasard« , en réitérant un « no comment » annonçant la fin de la conversation.

Les questions en suspens

En fait, nous revenons aux questions du début de l’article. Le « partenaire naturel » des agriculteurs a failli dans cette histoire. D’autant que les raisons du refus sont très floues. Il serait question d’une différence entre l’étude fournie par les Monier et celle sur laquelle aurait statué la caisse régionale. En d’autres termes, d’une manipulation des chiffres, dont personne ne sait d’où elle viendrait. Tout cela n’est pas clair. Et il est difficile de prêter aux rumeurs dans un article de presse.

En revanche, cette histoire nous apprend que désormais la concurrence existe entre les opérateurs bancaires. Et que si l’un refuse, un autre peut devenir votre partenaire, et même montrer au passage qu’il est plus qu’une roue de secours (en l’occurrence, dans ce cas particulier, avec un effort sur les taux).

Bien sûr, cela n’enlève rien à tout ce qu’apporte le Crédit Agricole en partenariats variés à de nombreux organismes ou opérations agricoles. Mais peut-être est-ce aussi à cette banque de s’interroger sur ces fondements : elle peut s’agrandir, avoir d’autres ambitions, mais ne pas oublier d’où elle vient…

En savoir plus : http://auvergne.france3.fr/2014/04/03/le-pere-d-un-agriculteur-du-cantal-en-greve-de-la-faim-452525.html (reportage de France3 Auvergne).

Ci-dessous, photos fournies par la famille Monier, montrant leur chèvrerie.

1 Commentaire(s)

  1. Tiens, des histoires semblables en Belgique. Je ne crois pas qu’il faille se fier au nom de la banque. Il est possible de convaincre des banques n’ayant pas une approche principalement agricole en montant un bon dossier financier, avec un business plan, des projets qui tiennent la route, une bonne analyse des coûts, des prix de revient,… L’important au sein de la Banque avec laquelle on travaille, c’est d’avoir un bon dialogue avec son conseiller, de le rencontrer quand ça coince, mais aussi de communiquer quand ça va bien. Finalement, on est tous mariés avec l’une ou l’autre institution bancaire. Vaut mieux investir la relation, comme dans tout couple 🙂

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