daniel gremillet

Les dessous du volet agricole de la loi Sapin 2

De plus en plus souvent, le cadre légal qui définit, ou redéfinit, les règles de l’agriculture se décide dans des lois qui n’ont, a priori, qu’un rapport éloigné avec le sujet. C’est le cas en ce moment avec la loi Sapin 2. Décryptage.

Cela devient de plus en plus fréquent. Même si quasiment chaque gouvernement présente une loi agricole, des pans entiers concernant l’avenir de l’activité se décident dans d’autres lois. On peut le comprendre quand il s’agit de la loi sur la biodiversité par exemple. Mais il faut aussi être attentif, ici aux accords conclus lors de Cop21 (lire l’article de Frédéric Hénin édifiant à égard), là à la loi de Finances… Et, cette fois, à la loi Sapin 2, dont l’intitulé complet, pourtant, ne sonne pas franchement « agricole » : Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique.

Avant d’être examinée en première lecture à l’Assemblée nationale, ce projet de loi comportait 58 articles, dont moins d’une dizaine concernait le volet économique. Après les amendements des députés, la loi est passée à 172 articles, dont 39 sur l’économie. Or, ces 39 articles portent sur deux volets : l’artisanat… et l’agriculture !

Cette semaine, le texte est examiné au Sénat. Or, parmi les sénateurs qui suivent de près les débats, il en est un qui est incontournable : Daniel Gremillet. Et ce, à plusieurs chefs. D’abord, par sa légitimité dans la connaissance des sujets. Certes, l’époque où cet agriculteur, au titre de vice-président des JA, négociait l’arrivée des prêts bonifiés pour aider à l’installation des jeunes peut paraitre lointaine. Mais depuis, il a été président de la Chambre d’agriculture des Vosges, a siégé à l’APCA au titre de vice-président tout de même, sans parler de ses responsabilités au sein de la coopérative fromagère de l’Ermitage, à Bulgnéville dans les Vosges. Ce sénateur pas comme les autres vis-à-vis des questions agricoles a par ailleurs signé une proposition de loi (il en a même été le rapporteur), au tout début de cette année 2016, pour améliorer la compétitivité des exploitations alors que nous sommes en période de crise. Il avait d’ailleurs, à ce moment-là, rédigé une tribune destinée aux lecteurs de WikiAgri sur le sujet. C’est en tant que rapporteur qu’il l’avait enrichie de plusieurs propositions (incessibilité des contrats laitiers, prise en compte des indicateurs publics de coûts de production en agriculture, et des indicateurs de prix de marché dans les formules de prix des contrats agricoles…). Cette proposition de loi était alors restée lettre morte, adoptée par le Sénat, mais rejetée en commission avant son passage à l’Assemblée… Il n’empêche, elle contenait plusieurs chapitres dignes d’intérêt…

Daniel Gremillet a donc été mandaté par le groupe Les Républicains pour examiner, au sein de la commission économique du Sénat dont il fait partie, l’ensemble des articles de la loi Sapin 2 concernant l’économie, puisque la plupart d’entre eux parlent d’agriculture… Et mieux encore, sont le plus souvent directement inspirés de la proposition de loi récemment rejetée ! On passera sur le jeu politicard sans grand intérêt qui consiste à piller les idées d’un côté pour les faire siennes de l’autre, qui a vu ainsi Daniel Gremillet (LR) se reconnaître dans plusieurs articles de la loi Sapin 2, soit gouvernementaux, soit de la majorité à l’Assemblée. Bien au-delà de la fierté de donner son nom à une loi, on sait Daniel Gremillet avant tout impliqué pour donner à la profession agricole les outils dont elle a besoin.

Sur le fond, ce qui peut changer en agriculture avec la loi Sapin 2

Le foncier

« La première réflexion, explique le sénateur Daniel Gremillet interviewé par WikiAgri, concerne les articles sur le foncier. Ils ont été ajoutés à l’Assemblée en réaction aux hectares de l’Indre achetés par un groupe chinois. L’objectif, louable à la base, étant d’éviter que nos propres terres nous échappent. Pour autant, ce qui était proposé par l’Assemblée me parait insuffisamment réfléchi. Les amendements de l’Assemblée différenciaient le capital social des terres de celui de la production, or cela me semble pour le moins risqué. Le foncier est trop important pour être traité rapidement, en deux/trois amendements, sur un coin de table. Il mérite une loi pour lui tout seul. Et là, j’imagine facilement des effets induits néfastes aux propositions de l’Assemblée, cela mérite une discussion approfondie. J’ai donc modifié fondamentalement le texte pour éviter les montages financiers, la spéculation, et la financiarisation du foncier.« 

Pour compléter ce dispositif, Daniel Gremillet réfléchit d’ores et déjà à un projet de proposition de loi replaçant l’activité agricole et le statut de l’agriculteur au coeur du débat.

Etiquetage

La loi Sapin 2 prévoit l’étiquetage d’origine pour le lait et les produits laitiers transformés. « C’est une proposition que j’avais formulée dans ma proposition de loi, donc je me réjouis que cette disposition soit reprise« , commente Daniel Gremillet.

Interdiction de la cession des contrats laitiers à titre onéreux

Daniel Gremillet : « J’ai été le premier à exprimer cette idée, rédigée noir sur blanc dans la proposition de loi. Aujourd’hui, je vois que le gouvernement la reprend à son compte. Tant mieux. Nous avons eu un problème de taille en France par rapport au secteur laitier : nous ne nous sommes pas du tout préparés à la sortie des quotas laitiers, le 1er avril 2015. Nous en souffrons toujours aujourd’hui, il est grand temps de prendre des mesures qui évitent la spéculation laitière dans cette période déjà difficile. » Il ajoute : « En arrêtant la cession des contrats laitiers à titre onéreux, on se rapproche des autres pays, on n’est plus dans la distorsion« .

Rôle des organisations de producteurs renforcé

La loi Sapin prévoit, et Daniel Gremillet a lui-même introduit ses amendements pour le débat sénatorial pour accentuer cette tendance, un renforcement du rôle des organisations de producteurs (OP), en particulier sur le lait. Il s’agit ainsi de mieux gérer les volumes laitiers, en accord avec les OP, justement pour s’organiser après l’arrêt des quotas laitiers. « En revanche, commente Daniel Gremillet, attention aux fausses bonnes idées. Un amendement de l’Assemblée précisait que les entreprises achetant le lait devait fixer le prix à l’année N + 1. Sur le papier, ça donne de la lisibilité. Mais en même temps, le lait étant désormais côté sur le marché mondial, une telle mesure empêche aussi de profiter des opportunités du marché. Il faut se souvenir que le lait était à 400 € il y a deux ans, et qu’aucun producteur n’aurait aimé être payé moins… » Tout, selon lui, doit se négocier « au niveau de l’interprofession« . Le Sénat devrait voter également son amendement sur la question visant à « encourager un processus de formation des prix prenant en compte dans un premier temps les couÌ‚ts de production agricoles. La neÌgociation entre industriels et grande distribution intervient dans un second temps » (selon l’objet expliquant officiellement l’amendement).

D’autres textes inspirés de la PPL de début 2016

La proposition de loi (PPL) du début d’année a inspiré d’autres textes, à défaut d’avoir été examinée en séance elle-même. Ainsi, également au Sénat, une proposition de loi vient d’être déposée sur la gestion des risques par trois sénateurs socialistes (Franck Montaugé, Didier Guillaume, et Henri Cabanel). Elle vise à rendre obligatoire l’assurance récoltes. Un autre volet s’est retrouvé comme par enchantement dans la loi de finances.

Pour autant, une partie de cette fameuse PPL originelle est restée sans suite, notamment concernant les jeunes agriculteurs. « Les JA ont récemment souhaité, et obtenu, la fin des prêts bonifiés. A mon avis, c’est une erreur. Je ne dis pas cela parce que j’ai fait partie, en mon temps, de ceux qui ont négocié pour les obtenir, je vois bien que les taux sont devenus beaucoup moins intéressants. Pour autant, des taux, ça fluctue. Et l’intérêt des prêts bonifiés était d’éviter d’être tributaire des banques pour son installation, ce qui devient le cas désormais. Dans ma PPL, je proposais de conserver ces prêts, mais en les modifiant en prêts de carrière. Là, on pourrait conserver un réel accompagnement, en étant également moins tributaire des choix des régions, puisque c’est à elles que revient désormais le choix des aides à l’installation…« 

La loi Sapin 2 est examinée au Sénat toute cette semaine (le volet agricole devrait passer ce mercredi). Ensuite, soit une commission mixte paritaire s’en emparera (probablement à la rentrée de septembre), soit elle repassera directement à l’Assemblée, probablement avant la fin de l’année.

En savoir plus : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-086.html (la proposition de loi qui avait été déposée par plusieurs sénateurs et rédigée en grande partie par Daniel Gremillet, en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire) ; https://wikiagri.fr/articles/notre-agriculture-en-grande-difficulte-il-y-a-urgence-!/8075 (tribune rédigée par Daniel Gremillet au moment de l’examen de cette proposition de loi) ; https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201606/le_senat_examine_la_loi_sapin_2.html (la loi Sapin 2 au Sénat) ; https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-585.html (proposition de loi socialiste qui « récupère » un des volets de la PPL de LR de début d’année sur la gestion des risques).

Daniel Gremillet, agriculteur et sénateur.

 

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