levage porcin

Les contrats avantagent-ils vraiment les producteurs porcins ?

« Les contrats améliorent l’efficacité des filières : mais à quelles conditions, pour l’intérêt des producteurs ? » Cette tribune est la réponse de Thierry Merret, président de la FDSEA du Finistère, à Michel Rieu, économiste à l’IFIP.

Dans un article paru le 25 avril dans Réussir Porc, Michel Rieu, économiste à l’IFIP, a détaillé l’idée selon laquelle « les contrats améliorent l’efficacité des filières ». Thierry Merret, président de la FDSEA du Finistère, s’étonne des propos tenus par l’économiste dans cet article. Il considère à cet égard qu’il convient non seulement d’y apporter des nuances, mais surtout de s’interroger sur les conditions sine qua non pour que cette contractualisation se concrétise dans l’intérêt des éleveurs.

La grande distribution, chevalier blanc de la filière porcine ?

Tout d’abord, d’après Michel Rieu, « l’Ifip souligne régulièrement l’insuffisance de partenariat, de dialogue et de concertation dans la filière porcine française. Avec le contrat Intermarché, nous avons une expérience de partenariat explicite, de lien entre des producteurs, leurs organisations, et une structure d’aval ». Cette affirmation fait preuve d’un angélisme pour le moins déconcertant à l’égard de la grande distribution. Certes, tout un chacun peut déplorer le manque de concertation, voire de partenariat, au sein de la filière porcine (et d’autres filières également !). Il n’en reste pas moins que l’on ne peut faire abstraction des tensions qui président aux relations commerciales entre les différents maillons de la filière depuis des années, et ce au détriment des producteurs. La cause est bien connue : l’oligopole de la grande distribution, et la répercussion des pratiques commerciales déloyales tout au long de la filière, jusqu’aux producteurs. Il faudrait être bien dupe pour croire qu’en l’état actuel de la structuration de la filière et des comportements de ses différents maillons, des « partenariats », qui plus est équilibrés, puissent se nouer. Après avoir asphyxié le maillon production à coups de promotions, de remises, de déréférencements, et d’abus en tous genres, la grande distribution serait porteuse d’un nouvel élan partenarial au sein des filières ? On croit rêver !

Tirer les leçons de l’échec de la contractualisation dans le secteur laitier

Personne ne semble tirer les leçons du secteur laitier, et surtout pas la filière porcine : en l’absence de renforcement préalable du pouvoir de négociation des agriculteurs, la contractualisation a conduit à un renforcement de leur dépendance et à une captation de la valeur au détriment du producteur. Voilà la réalité de la contractualisation sans réorganisation de la structuration de l’offre : un système fait d’unilatéralisme, de pratiques commerciales déloyales, d’abus de dépendance économique… le tout non sanctionné par les pouvoirs publics, bien entendu. Les fournisseurs ont par ailleurs bien trop peur de dénoncer leur principal, si ce n’est unique, client.

L’élevage porcin : un minerai bientôt sous la coupe de la grande distribution ?

Voilà qui pose une question supplémentaire dans le secteur porcin où la grande distribution a en plus investi les outils industriels – les fameux « producteurs – commerçants »… Quel terrible aveu d’impuissance et de résignation de constater que la modernisation de l’abattage découpe ne peut aujourd’hui se passer de l’assise financière et des capitaux de la grande distribution ! Peut-être que le maillon abattage-transformation n’a pas été suffisamment bon, ni suffisamment anticipé sa nécessaire modernisation. Mais on ne peut pas faire fi des pressions exercées pendant des années par la GMS sur ce maillon, et les marges captées par celle-ci. Voilà comment les outils industriels deviennent des placements pour les GMS : à quand le tour des exploitations agricoles ? On a bien vu une firme pétrochimique chinoise racheter des terres agricoles.

Surtout, ne perdons pas la main !

Les GMS sont à l’affût, bien conscientes d’avoir un véritable minerai à portée de main : une production agricole en quantité, en qualité, et surtout répondant aux attentes du consommateur en termes de « Manger français », « Manger local », et de développement durable. Les grandes surfaces ont compris l’intérêt d’utiliser l’image des paysans, à leur profit ! Elles ont par ailleurs de plus en plus de latitude pour imposer leurs propres cahiers des charges, qui vont encore s’ajouter aux cahiers des charges des abatteurs et des groupements. Sous une pression inacceptable, les éleveurs pourraient perdre la main sur leur propre minerai : leur production, leur savoir-faire, leur image. C’est inacceptable.

Pour un Marché du Porc Breton rénové et renforcé

La présentation de Michel Rieu de la contractualisation pour une filière plus efficace et source de valeur ajoutée est basée sur une vision tronquée du Marché du Porc Breton, présenté comme un « système de prix unique [qui] n’est pas forcément un gage de réussite pour les éleveurs. Tout dépend du contexte et des rapports de force ». Le rôle du Marché du Porc Breton est d’établir une cotation ! Pour les producteurs, c’est fondamental d’avoir une référence de prix. La contractualisation ne résout pas la question du prix de base payé au producteur, surtout si les rapports de force sont déséquilibrés : ce n’est pas parce qu’on signe une feuille de papier que le contrat est équilibré pour les deux parties, ou que toutes les clauses en seront respectées quand la partie la plus forte n’y verra plus son intérêt. L’avenir des éleveurs, et de la production porcine en Bretagne, passera par un regroupement de l’offre : la FDSEA du Finistère le martèle depuis des années. Si nous n’affichons pas, a minima, notre volonté de conserver notre indépendance, nous allons nous enfoncer dans la dépendance. La seule protection est alors le contrat d’intégration… Intégration par les abatteurs, donc par les distributeurs. La boucle est bouclée !

L’indépendance des éleveurs passera aussi par la compétitivité

Au-delà des questions relatives à la structuration de la filière et ses déséquilibres, à la nécessité d’un marché du porc breton rénové et de relations commerciales équilibrées et loyales (dont le pendant est la nécessité d’une révision de la LME dans la loi Sapin 2), les solutions sont aussi à chercher dans la compétitivité ! Les distorsions de concurrence sont un véritable boulet pour les maillons production et abattage-transformation français. De plus, les aléas du marché nécessitent la mise en place urgente d’outils de protection du revenu des producteurs. Les solutions de notre indépendance et de notre avenir sont à rechercher collectivement !

Thierry Merret,
président de la Fdsea du Finistère

 

En savoir plus : http://porc.reussir.fr/actualites/les-contrats-ameliorent-l-efficacite-des-filieres-assure-michel-rieu:XPPR6FAD.html (l’interview de Michel Rieu dans Réussir Porc) ; https://wikiagri.fr/articles/plaidoyer-pour-des-eleveurs-de-porcs-debout-!/7681 précédente tribune signée Thierry Merret, et cosignée Sébastien Louzaouen, concernant le porc.

La photo d’élevage porcin ci-dessous est issue du site Fotolia, lien direct : https://fr.fotolia.com/id/48291424.

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