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Le monde agricole cible de la criminalité organisée

Deux exemples récents montrent que le monde agricole et le secteur agroalimentaire deviennent désormais la cible de groupes criminels et de trafics illégaux, y compris à une échelle internationale.

La question des vols commis sur les exploitations agricoles est malheureusement bien connue désormais, ainsi que peuvent en attester les données fournies par la police nationale et la gendarmerie nationale, qui sont en constante progression ces dernières années. Les cibles des vols sont extrêmement variées. Cela va du matériel (carburant siphonné dans les cuves ou le réservoir des véhicules, principal vol commis sur les exploitations, tracteurs, câbles d’alimentation des systèmes d’irrigation contenant du cuivre, outils, piquets en fer des clôtures, etc.) aux animaux d’élevage (vivants ou même dépecés sur place), en passant par les récoltes (blé, fruits, légumes, plants de vigne, etc.) ou encore le fourrage et le bois. Certains peuvent même être commis par effraction. La FNSEA a d’ailleurs tenté à deux reprises en 2013 de tirer la sonnette d’alarme sur le sujet en s’adressant directement au ministre de l’Intérieur. Elle a ainsi publié un communiqué de presse le 2 septembre 2013 qui s’intitulait « Stop aux vols sur les exploitations agricoles » et son président Xavier Beulin a envoyé, le 18 décembre dernier, une lettre à Manuel Valls qui faisait état de « campagnes […] confrontées à de nouvelles formes de pillages organisés qui concernent les biens des agriculteurs au premier chef, mais qui concernent aussi l’ensemble des ruraux ».

Mais la situation est sans doute encore plus grave que cela car, comme l’affirme la FNSEA dans son communiqué de septembre, « ce qui était hier du chapardage est devenu un système très organisé ». En témoignent deux évènements récents qui tendent à montrer à quel point le monde agricole et le secteur agroalimentaire sont devenus depuis quelques années une cible privilégiée pour les organisations criminelles et leurs trafics.

Gang des tracteurs

Le 21 janvier dernier, un réseau international de voleurs et de trafiquants de tracteurs neufs, en particulier de la marque John Deere, a été démantelé par la gendarmerie française de Limoges, la guarda civil espagnole et la police nationale roumaine, en coordination avec Eurojust (l’Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne) et Europol (l’Office européen de police). Ce démantèlement s’est traduit par l’arrestation de neuf individus de nationalité roumaine, un en France, quatre en Espagne et en Roumanie. L’individu arrêté en France a été mis en examen pour vols et recel en bande organisée. Les huit autres individus avaient fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis par la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Bordeaux. Ils risquent une peine de 15 ans de réclusion criminelle.

Le groupe démantelé dérobait, en effet, des tracteurs en France, dans le Sud-Ouest, l’Est et le Centre, dans les concessions John Deere pour les revendre ensuite à un tarif réduit par rapport au prix du neuf dans différents pays de l’Est de l’Europe. Le vol en novembre 2012 de trois tracteurs dans une concession à Saint-Léonard-de-Noblat dans la Haute-Vienne a été le déclencheur d’une enquête de la JIRS qui lui a permis de mettre en évidence l’existence d’un véritable groupe criminel organisé et d’un trafic mené à l’échelle internationale. Les membres de cette organisation de nationalité roumaine vivaient notamment en Espagne. Ils venaient en France pour commettre leurs délits. Ils agissaient généralement de nuit les week-ends en cassant le portail de la concession, puis en chargeant les tracteurs volés sur des semi-remorques porte-chars immatriculés en Roumanie (trois tracteurs par camion) et en les bâchant. Ils disposaient de clefs leur permettant de faire démarrer les tracteurs. Au moment où l’alerte était donnée, les tracteurs volés se trouvaient déjà depuis longtemps à l’étranger. Ces derniers étaient, en effet, transportés en direction de l’Europe de l’Est, principalement la Hongrie et la Roumanie, où une autre équipe de l’organisation criminelle les récupérait afin de les « maquiller » et de les revendre à l’aide de documents falsifiés. Ils pouvaient aussi agir directement sur commande.

Selon le communiqué d’Europol et d’Eurojust, la valeur moyenne d’un tracteur volé était d’environ 80 000 euros. La police a ainsi réussi à établir un lien entre une douzaine d’affaires de ce type qui se sont produites récemment en France. 42 tracteurs auraient été ainsi dérobés par ce groupe d’avril 2012 à octobre 2013 pour un montant total estimé à environ 3,2 millions d’euros. En juillet 2012, suite à une enquête de plus d’un an, la gendarmerie de Versailles avait déjà arrêté quatre personnes de nationalité roumaine qui ont été également à l’origine de plusieurs vols de tracteurs neufs en concession.

On observe ainsi depuis le milieu des années 2000 une hausse notable du nombre de tracteurs volés selon les données de la gendarmerie nationale ou de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). La criminalité organisée aurait, en effet, investi le monde agricole en prenant la forme de ce qui est appelé une « délinquance itinérante ». Selon le site internet de la gendarmerie nationale, cette délinquance se manifesterait par « des crimes ou des délits d’appropriation frauduleuse de biens à caractère sériel, commis sous forme de vols ou d’escroqueries par des malfaiteurs organisés qui usent de leur mode de vie itinérant ou agissent sur de vastes zones d’action pour tenter de freiner l’action judiciaire ».

Ce phénomène de vols de tracteurs ne se cantonne pas loin de là aux vols commis en concession puisque, selon l’ONDRP, 244 tracteurs auraient été volés en 2010, 255 en 2011 et 266 en 2012. Ils ne sont pas commis non plus uniquement en France. De nombreux vols de tracteurs ont été perpétrés aussi en Grande-Bretagne, par exemple, par des groupes criminels polonais, bulgares ou lituaniens. Ainsi, selon le site Farmers Guardian, plus de 200 vols auraient été recensés en Grande-Bretagne pour les seuls mois de décembre 2012 et janvier 2013. En fait, les tracteurs, compte tenu de leur importante valeur monétaire et de la relative facilité qu’il y a de les voler dans des concessions assez peu protégées ou même dans les fermes, semblent être devenus une cible particulièrement recherchée par les groupes criminels internationaux, au même titre que les voitures de luxe ou de sport, ou encore les engins de chantier. Ainsi que l’affirme un officier de gendarmerie cité dans Le Parisien du 26 janvier dernier : « Tout se vole. En matière de délinquance, une seule loi s’applique : celle de l’offre et de la demande ».

Trafic de viande de cheval impropre à la consommation

Un second fait récent tend à montrer que le secteur agroalimentaire est tout aussi concerné par l’action des organisations criminelles. Le 16 décembre dernier, un important trafic de viande de cheval a été ainsi démantelé par la gendarmerie française suite à une enquête menée par le procureur de la République de Marseille. L’opération a conduit à l’arrestation de 21 personnes dans 11 départements des régions Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et PACA, ainsi qu’à des perquisitions dans des abattoirs et au siège de négociants en viande. Les personnes interpellées risquent 5 ans d’emprisonnement pour tromperie. Une vingtaine de personnes ont été également arrêtées par la guardia civil en Espagne dans le cadre de la même affaire.

Ce trafic qui, au passage, n’a rien à voir avec l’affaire du début de l’année 2013 connue sous le nom de Horsegate, consistait à vendre des chevaux impropres à la consommation comme animaux de boucherie. Il s’agissait soit de chevaux âgés achetés à des centres équestre qui ont reçu des traitements médicamenteux rendant leur viande impropre à la consommation, soit de chevaux de laboratoire, notamment achetés au laboratoire Sanofi-Pasteur en Ardèche, la division vaccins du groupe pharmaceutique. Ces derniers ont servi de cobaye pour la recherche ou alors leur sang était prélevé pour fabriquer des sérums contre la rage, le tétanos ou le venin des serpents. Les chevaux vendus par Sanofi, par exemple, valaient une dizaine d’euros car ils ne devaient pas entrer dans la chaîne alimentaire, alors qu’ils étaient revendus par les trafiquants à des abattoirs de 500 à 800 euros sur la base de documents vétérinaires falsifiés.

Cette affaire a concerné ainsi plusieurs centaines de chevaux dont les documents vétérinaires ont été falsifiés. Ce trafic a impliqué plusieurs négociants en viande, dont un négociant de Narbonne, considéré par les enquêteurs comme le « cerveau » du trafic, mais aussi des vétérinaires et un informaticien qui étaient chargés de produire de faux documents de santé. Néanmoins, selon les propos du procureur de la République lors d’une conférence de presse en décembre, ces chevaux impropres à la consommation n’étaient pas nécessairement nuisibles à la santé humaine.

En savoir plus : https://wikiagri.fr/topics/vol-de-carburant-comment-le-vivez-vous-/73 (forum de WikiAgri sur le vol des carburants) ; https://wikiagri.fr/articles/une-vache-abattue-et-depecee-en-plein-champ-pour-25-kilos-de-viande/662 (fait divers sordide, une vache dépecée directement en plein champ pour sa viande) ; www.fnsea.fr/media/864380/communiquevolsexploitationsv2.pdf (communiqué de la FNSEA du 2 septembre 2013), https://www.eudonet.com/v7/datas/2256A28B91692791792393490690990A90E91028B91692791792393490690990A90E910/Annexes/COURRIERVALLSXB.PDF (lettre de Xavier Beulin du 18 décembre 2013 adressée au ministre de l’Intérieur), http://eurojust.europa.eu/press/PressReleases/Pages/2014/2014-01-22.aspx (communiqué de presse d’Eurojust et d’Europol sur le démantèlement du réseau de vols de tracteurs en janvier 2014), www.france24.com/fr/20140124-france-trafic-reseau-criminalite-organisee-tracteurs-vols-campagne-exploitants-agricoles-fermes/ (article du site de France 24 sur le « gang des tracteurs »), www.leparisien.fr/espace-premium/actu/la-mafia-europeenne-des-voleurs-de-tracteurs-26-01-2014-3528053.php (article du site du Parisien sur le « gang des tracteurs »), www.cartocrime.net/Cartocrime2/index.jsf (données en ligne de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales-ONDRP), www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/eng/Sites/Gendarmerie/Presentation/Criminal-investigation-department/Delinquance-itinerante-OCLDI (page du site de la gendarmerie nationale consacrée à la délinquance itinérante), www.farmersguardian.com/ (site internet des Farmers Guardian), www.francebleu.fr/infos/trafic/trafic-de-viande-de-cheval-11-departements-concernes-par-une-vaste-operation-de-gendarmerie-1110562 (article du site francebleu.fr sur le trafic de viande de cheval), www.europe1.fr/Faits-divers/Trafic-de-viande-de-cheval-une-vingtaine-d-interpellations-1743679/ (article du site d’Europe 1 sur le trafic de viande de cheval).

 

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