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L’animalisme, entre empathie et confusions

Comment comprendre le mouvement animaliste, qui prône l’égalité entre l’homme et l’animal, quand on est éleveur ? Les réponses du philosophe Francis Wolff.

A l’occasion de l’assemblée générale de l’association Agriculteurs de Bretagne, le philosophe Francis Wolff faisait le point sur le mouvement animaliste, ses origines et ses implications. « J’ai vu naître le mouvement animaliste », a-t-il raconté au cours de cette assemblée générale, qui s’est déroulée à Carhaix (Finistère) le 27 mars dernier. « Il a émergé dans les campus américains, a traversé l’Atlantique jusqu’aux universités européennes et s’est ensuite diffusé dans le grand public. »

Philosophe, professeur émérite à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, Francis Wolff est l’auteur de Trois utopies contemporaines, un ouvrage dans lequel il décrypte le mouvement animaliste. Défini comme l’idée que les animaux devraient avoir les mêmes droits que les humains, l’animalisme nie l’existence d’une différence entre l’homme et l’animal. Il mène logiquement au véganisme. Il s’agit, selon Francis Wolff, d’un mouvement jeune, porté par une empathie considérable, mais fondé sur plusieurs confusions.

Les confusions à l’origine du mouvement

La première confusion concerne la définition de « l’animal » : depuis les coraux jusqu’aux chimpanzés, la différence est considérable, nous n’avons donc pas la même relation. Si l’on restreint aux seuls mammifères, nous n’avons pas non plus la même relation avec les animaux sauvages, les animaux de rente et les animaux de compagnie.

La deuxième confusion vient de l’éloignement avec le quotidien de l’élevage. Majoritairement citadins, les tenants de l’animalisme projettent ce qu’ils savent de leur chien ou de leur chat sur les animaux de ferme, sans percevoir la différence. Enfin, la biologie a montré qu’il y avait génétiquement peu de différences entre l’homme et l’animal, contribuant à brouiller des limites qui étaient auparavant clairement définies.

Pour Francis Wolff, l’animalisme a pu se développer parce que le contexte était favorable. « L’utopie politique s’est écroulée », explique-t-il. L’idée nouvelle est que l’animal est le nouveau prolétaire du monde contemporain et que la domestication est un asservissement. Ces arguments, qui concernaient autrefois l’homme, se retrouvent appliqués à l’animal. On voit en lui une victime.

Les limites du mouvement

Examinée en détails, l’idéologie animaliste montre rapidement ses limites. L’objectif est en effet d’instaurer l’égalité entre tous les êtres vivants, en prenant modèle sur les droits de l’homme. Mais il se heurte aux réalités de la pyramide alimentaire : si le renard a le droit de vivre, alors le lapin ne l’a pas, et inversement. Il y a donc une impossibilité. En outre, la « libération » des animaux, telle qu’elle est envisagée, n’a guère de sens. Fondée sur l’idée que la nature est naturellement « bonne et accueillante », elle ne tient pas compte du fait que les animaux d’élevage sont anthropisés et donc dépendants de l’homme. Francis Wolff souligne en outre le fait que la suppression de tout produit d’origine animale dans l’alimentation est un « saut dans le vide nutritionnel », sur lequel nous n’avons pas de recul à ce jour. « Difficile de se passer d’une béquille chimique. »

Nos devoirs envers les animaux

Pour Francis Wolff, il faut distinguer différents types de devoirs vis-à-vis des animaux, en fonction de leur statut. Par rapport aux animaux de compagnie, nous avons une obligation de fidélité : il y a un échange de soins contre l’affection donnée par l’animal. A l’inverse, avec les animaux sauvages, notre devoir est de respecter leur milieu sans intervenir. Et quant aux animaux de rente, nous leur devons la protection contre les prédateurs et les maladies, en plus de la nourriture. Tout cela vient en échange des produits qu’ils procurent ; c’est un contrat moral. Mais l’homme doit, dans tous les cas, assumer ses responsabilités en tant que super-prédateur.

Pour lui, le véganisme est une mode qui apparaîtra probablement désuète un jour. Il s’est en effet nourri de la confusion entre véganisme et écologie, entre « welfarisme » (bien-traitance de l’animal) et abolitionnisme (disparition de l’élevage). « Le jour où cette ambiguïté apparaîtra au grand jour, la bulle éclatera ». Il affirme cependant que le souci de l’animal et de son bien-être, lui, persistera. Il correspond à une demande sociétale dont les éleveurs doivent tenir compte.
 

En savoir plus : http://www.franciswolff.fr (site internet de Francis Wolff).
 

Ci-dessous, lors de l’assemblée générale de l’association Agriculteurs de Bretagne, Francis Wolff (à gauche), Danielle Even (présidente d’Agriculteurs de Bretagne) et Yves Fantou (président d’Interbev Bretagne).

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