claude roi

La bioéconomie doit valoriser l’agriculture, pas la concurrencer

Nouveau concept mais pourtant réalité ancienne, la bioéconomie est l’économie verte post pétrolière qui valorisera davantage les produits issus de la photosynthèse des plantes. L’agriculture est au centre de ce modèle économique, présenté ici par Claude Roy, président du club des bioéconomistes, après son passage à une conférence du think tank Saf Agr’iDées organisée en amont de Cop 21.

Qu’est-ce que la bioéconomie ?

Claude Roy : C’est la valorisation des fruits de la photosynthèse en aliments, matériaux, bases chimiques, fertilisants organiques et bioénergies variées… C’est « l’économie verte », comme on la nomme parfois. Et si la bioéconomie est un mot nouveau, c’est d’abord une réalité très ancienne. Grâce à elle en effet, grâce à la biomasse, à la terre, aux forêts et à leurs produits, c’est l’essentiel de la civilisation humaine qui a été fondé depuis 5 000 ans. Et c’est encore la biomasse qui fut, dans les mers et les lagunes, à l’origine du charbon, du pétrole et du gaz aux ères géologiques… Aujourd’hui, après deux siècles de règne des énergies fossiles, des défis sans précédents nous attendent au cours des prochaines décennies : croissance de la population mondiale ; réchauffement climatique ; épuisement des réserves d’hydrocarbures et de certaines matières premières ; disponibilités en eau et en terres… Pour y faire face, il apparaît qu’une mise en valeur efficace des terres agricoles et des forêts, conjuguée avec le développement de leurs filières de transformation, sont des vraies solutions durables. Grâce aux valorisations multiples de la biomasse photosynthétique, ces solutions permettent en effet d’amortir le réchauffement climatique et de prévenir notamment le tarissement annoncé des réserves mondiales d’hydrocarbures. Car si la biomasse est à la source de notre alimentation, elle permet aussi de produire massivement des substituts partiels au pétrole roi. Et c’est précisément cette économie verte renaissante, originale, systémique, sobre et créatrice d’emplois qui est en jeu et que l’on appelle la bioéconomie.

La bioéconomie s’inscrit-elle dans une dimension commerciale et de développement économique ou bien est-ce un autre pan de l’économie solidaire?

C.R. : Elle est très clairement une forme originale de développement économique, fondée sur la valorisation de ressources renouvelables, neutre en carbone, économe en hydrocarbures fossiles, sobre, créatrice nette d’emplois et durable. C’est « l’équation vertueuse du carbone vert » d’origine photosynthétique. Elle s’appuie sur des filières industrielles parfaitement compétitives, au même titre que celles, traditionnelles, du bois-fibres, du textile ou du caoutchouc par exemple, mais avec des marchés élargis désormais, depuis 20 ans, aux biocarburants, à la chimie du végétal, aux bioplastiques, au biogaz ou aux matériaux bio-composites par exemple. En outre, dans la bioéconomie, la valorisation des bioressources en cascade et le bioraffinage sont aussi des stratégies d’économie circulaire de valorisation de la biomasse où, pour l’essentiel, « rien ne se perd ».

Que représente-t-elle dans l’économie nationale, européenne et mondiale ?

C.R. : La France a probablement été le premier pays en Europe à définir une stratégie bioéconomique, étudiée dès 2003, avec en appui un plan biocarburants, un plan biocombustibles et un plan chimie du végétal et biomatériaux. Aujourd’hui, il s’agit seulement pour la France d’affiner cette analyse à la lumière des nouvelles stratégies européennes et du nouveau paquet énergie climat, avec les engagements climat de Cop 21 en vue. N’oublions pas que la bioéconomie pèse pour 50 % dans les objectifs renouvelables de notre pays. Pour la France, la bioéconomie recouvre bien sûr l’agroalimentaire (400 000 emplois) et la filière forêt-bois (200 000 emplois) mais aussi des biofilières plus récentes, nées il y a moins de 30 ans (néo-matériaux, chimie du végétal, biocarburants, biocombustibles) et qui représentent plus 2000 entreprises nouvelles et 70 000 emplois supplémentaires créés (avec 14 milliards d’euros par an de chiffre d’affaires). Toutes ces activités massives fournissent 5 % de notre consommation nationale d’énergie, et l’essentiel de nos matériaux et molécules chimiques renouvelables. D’ici 2030, nos feuilles de route climatiques et énergétiques prévoient plus ou moins, et avec ambition, un doublement de ces performances, puis encore un nouveau doublement d’ici 2050. Cela laisse entendre que la bioéconomie pourrait représenter 20 à 25% de notre économie d’ici 2050, c’est à dire aussi 20 à 25 % de nos ressources post-pétrolières. La France se situe ainsi parmi les cinq pays les plus bioéconomiques au monde avec les Etats-Unis, le Brésil, la Chine et l’Allemagne. On peut donc prédire, à l’aune du défi climatique, que les perspectives France qui précèdent se déclineront probablement avec similitude au niveau mondial. L’importance de l’agriculture et de la sylviculture de production, et des professionnels de la terre, n’en apparaît donc qu’avec plus de force…

Quelle est la place de l’agriculture dans la bioéconomie ?

C.R. : Si l’on considère nos feuilles de route énergétique et climatique aux horizons 2030 (transition énergétique) et 2050 (facteur 4) , et qu’on les mesure à l’aune de toutes les bioressources disponibles et valorisables, on voit qu’un équilibre possible des filières biosourcées pourrait être atteint avec l’utilisation bioéconomique, pour 60 % environ, de ressources forestières ligno-cellulosiques et de sous produits de la filière bois, pour 30 % environ de ressources agricoles ou dérivées de l’agriculture et de l’agroindustrie, et pour 10 % enfin par la valorisation de biodéchets d’origine diverse. Les limites qui ont été fixées au développement de la bioéconomie en Europe ne sont pas de nature à créer de conflit d’usage majeur entre les filières de l’agriculture alimentaire et non alimentaire. Rappelons que les rendements agricoles mondiaux continuent de croître, et que de vastes étendues de terres marginales peuvent encore être valorisées partout en production de cellulose. Parallèlement, l’aquaculture marine reste une réserve majeure de protéines à développer tandis que la protection des récoltes (30 % sont perdues dans le monde au stade récolte-stockage-transport) est une priorité raisonnablement accessible. La bioéconomie n’est donc pas une menace pour l’agriculture, mais elle est au contraire une source parfaite de synergie et de progrès à intérêt partagé.

 

Ci-dessous, Claude Roy.

 

 

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