edgar pisani

Edgar Pisani, l’utopie comme méthode

Edgard Pisani vient de nous quitter à 97 ans. Il laisse le souvenir d’un des plus grands ministres de l’Agriculture de la 5e République. Comment expliquer cete notoriété alors qu’il a quitté ses fonctions dans ce ministère depuis 50 ans ? Il a marqué son époque ! Expression facile que l’on a l’habitude d’utiliser dans les discours officiels pour saluer le départ d’un grand homme. Essayons de l’illustrer de façon concrète.

Cette tribune est un hommage à Edgar Pisani,
ancien ministre de l’Agriculture (entre autres).
Elle est rédigée par l’économiste Lucien Bourgeois,
qui a eu l’opportunité de travailler avec lui ensuite (2000-2012),
alors qu’il occupait d’autres fonctions.

Edgard Pisani faisait partie de cette génération qui avait 26 ans à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Les places étaient libres. La génération précédente était pour une part décimée par les conflits ou compromise dans la collaboration. Avec une bonne formation et une détermination à toute épreuve, les portes s’ouvrent. Plus jeune sous-préfet à 26 ans. Plus jeune préfet à 29 ans et sénateur du département de la Haute-Marne à 36 ans. Il s’inscrit dans le groupe parlementaire de François Mitterrand. Rien ne le prédisposait à devenir ministre du général de Gaulle, car il faisait partie de l’opposition. Rien ne le prédisposait à venir s’occuper d’agriculture si ce n’est sa connaissance des problèmes fonciers acquise par 10 ans dans l’administration du département de la Haute-Marne comme sous-préfet puis préfet et 7 ans comme sénateur de ce même département.

Mais ce fut surtout un curieux concours de circonstances. Le retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958 avait provoqué l’opposition des milieux agricoles. Le Général de Gaulle avait gardé une certaine rancune contre la corporation paysanne et contre certains agriculteurs qui s’étaient enrichis pendant la guerre à cause de la pénurie. Certaines organisations agricoles soutenaient ouvertement l’extrême droite et l’une des premières décisions du nouveau gouvernement de crise avait été de supprimer l’indexation des prix agricoles.

Michel Debré, alors Premier Ministre, a tenté un rapprochement avec les jeunes agriculteurs du CNJA qui souhaitaient une autre politique agricole que celle de la FNSEA, uniquement orientée sur le niveau des prix. Les jeunes agriculteurs souhaitaient une politique des structures avec une meilleurs maîtrise du foncier. Par la Loi d’orientation du 5 août 1960, on crée les SAFER. Mais la colère monte y compris dans les rangs des jeunes agriculteurs en Bretagne, et Alexis Gourvennec prend la tête des producteurs de légumes du Finistère et prend d’assaut la sous-préfecture de Morlaix. Pour apaiser la colère il est relaxé en juin 1961.

C’est alors qu’un jeune sénateur fait un discours remarqué sur les moyens de mettre fin à cette situation. L’heure est grave, la colère gronde chez les agriculteurs en France et l’URSS vient de décider de fixer définitivement la coupure de l’Europe en deux blocs par l’érection du Mur de Berlin le 13 août 1961. Le 24 août, le Général de Gaulle appelle ce sénateur nommé Edgard Pisani au ministère de l’Agriculture.

Edgard Pisani rappellerera souvent que le Général lui avait donné la consigne suivante en le recevant avant sa nomination comme ministre : « Rappelez vous que vous n’êtes pas le ministre des agriculteurs mais le ministre de l’Agriculture de la France ».

Il se met aussitôt à la tâche et une Loi dite complémentaire sort en janvier 1962 pour mettre en place la politique des structures chère au CNJA avec en particulier des aides au départ des agriculteurs agés (IVD).

« C’est justement au moment où une loi a réussi
son objectif qu’il faut en changer
« 
Edgar Pisani

Edgard Pisani restera plus de 5 ans ministre de l’Agriculture. Signe intéressant, tous les ministres de l’Agriculture qui se sont succédés après lui ont cherché à faire une loi de modernisation !

En 1967, il est devenu ensuite ministre de l’Equipement. Il a été un des artisans du retour au calme en Nouvelle-Calédonie. Il a présidé l’Institut du monde arabe. Son principal regret fut de ne pas avoir été ministre de l’Education Nationale. Tout l’intéressait. Il a publié plus de 20 livres. Retenons une phrase qu’il citait souvent : « C’est justement au moment où une loi a réussi son objectif qu’il faut en changer ». Il voulait dire ainsi que le changement est une nécessité et que les mesures de politique agricole qui perdurent sont comme les pansements sur une plaie. Au début cela permet de soigner. Ensuite, cela contribue à infecter la plaie. Les aides à l’exportation, les stocks publics et les aides directes pourraient servir d’exemple.

Retenons aussi son message d’espoir dans de nombreux livres. Il disait que les hommes avaient plus besoin d’utopies que de rapports d’experts. Parti deux jours avant le vote du Royaume-Uni, cet européen convaincu nous laissera le souvenir d’un inlassable optimiste. Un homme d’Etat qui savait écouter. A 85 ans, il avait obtenu une immense ovation de milliers de jeunes du MRJC séduits par son message à Vannes. C’est le propre de certains « grands hommes » que de rester longtemps jeunes, c’est à dire capables d’étonnement ! 

Lucien Bourgeois
économiste, membre de l’académie d’agriculture

En savoir plus, ci-dessous, vidéo interview d’Edgar Pisani sur l’Europe.
Edgard Pisani et l’Europe par AgoraVox

Le portrait d’Edgar Pisani ci-dessous est une copie d’écran de la vidéo ci-dessus.

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