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Des propositions concrètes pour aider les familles agricoles endeuillées

Marie Le Guelvout d’une part, et Jacques Jeffredo d’autre part, l’un et l’autre devenus spécialistes malgré eux des lacunes dans l’accompagnement des familles agricoles après un deuil, ont réfléchi à des mesures concrètes qui pourraient être prises pour améliorer le sort de « ceux qui restent ».

Marie Le Guelvout a perdu son frère Jean-Pierre depuis désormais 11 mois. Depuis, elle n’a de cesse de se battre pour que son deuxième frère, André, puisse faire face à la tentation de suivre son cadet. Ce qui passe déjà par une exploitation qui redevienne rentable, épurée de ses dettes. Elle se bat pour les siens, pour sa famille et, à travers les difficultés qu’elle rencontre, elle comprend tout ce qui ne va pas dans notre système, comme le démontre sa récente intervention dans nos colonnes. Et justement, à la fin de celle-ci, elle précise qu’elle a des propositions à émettre, WikiAgri lui a donc demandé lesquelles.

Marie Le Guelvout demande la mise en place d’une « cellule privée d’action immédiate« 

Elle répond : « Suite à notre vécu, mais aussi aux nombreux témoignages de soutien que nous avons reçus, aux différents échanges que j’ai pu avoir avec des familles qui vivent le même drame que nous, j’ai jugé qu’il serait urgent de mettre en place une cellule privée d’action immédiate suite au décès d’un agriculteur. Cette cellule serait composée d’un psychologue, d’un expert comptable, d’un service de remplacement du défunt, d’une assistance administrative.« 

elle précise le rôle de chacun au sein de cette cellule : « Le psychologue serait là sur le champ à parler et faire parler la famille et apporter un réconfort immédiat puisque tous les gens qui vivent cela ne veulent pas parler, aller voir quelqu’un, c’est tabou. Là, la cellule interviendrait d’office. L’expert comptable ferait un diagnostic rapide sur la situation économique et financière de l’entreprise et agirait auprès des organismes en lien avec l’entreprise pour mettre en place une stratégie à court terme, cela éviterait de perdre du temps et de se poser toutes les questions possibles existentielles. L’assistance administrative est capitale – et si lourde les 6 premiers mois – qu’il est important d’agir au plus vite, et la famille touchée ne sait pas comment agir dans ces moment si douloureux. L’organisme de remplacement interviendrait également de suite et surtout sans se poser la question de savoir si l’entreprise est à jour de ses cotisations.« 

Par ailleurs, elle émet d’autres remarques : « La ou les banques partenaires de l’entreprise devraient stopper immédiatement les échéances, le temps au moins de la prise en charge par les assurances des prêts laquelle dure en général 6 mois. Fiscalement, il faut savoir que la prise ne charge des prêts par l’assurance est considérée comme un produit au compte de résultat et donc risque d’augmenter fortement les cotisation MSA l’année suivante et de mettre plus qu’en péril la situation déjà fragile de l’entreprise. Il serait intéressant de pouvoir provisionner cette charge voire de l’annuler partiellement.« 

Pa rapport à sa proposition majeure, la cellule privée d’action immédiate, Marie Le Guelvout conclut : « Cette cellule serait financée par l’Etat mais sous une forme juridique privée au sein de chaque département, et se devrait de rendre compte régulièrement à un superviseur de l’Etat.« 

Première demande de Jacques Jeffredo : qu’une étude sérieuse soit réalisée sur le sujet

Après la troisième édition de la journée d’hommage aux familles endeuillées par un suicide en agriculture, son organisateur, Jacques Jeffredo, a réfléchi à la formulation de propositions concrètes pour venir en aide à ces familles.

Il est malgré lui devenu un spécialiste de ces questions. En mettant le doigt sur une calamité de notre société, le suicide en agriculture, et en décidant qu’il fallait aider les familles ayant connu un tel drame, Jacques Jeffredo a recueilli quantité de témoignages, presque quotidiennement. On l’informe spontanément d’une nouvelle disparition, mais aussi de tout ce qui se produit derrière, des difficultés à la fois morales et financières, de ces sentiments de total isolement et dénuement, pour celles et ceux qui restent.

Devenu lanceur d’alerte sur le sujet, il a compris depuis le début que l’une des clefs pour faire évoluer les choses consiste à casser le tabou sur le sujet, à en parler. Mais aussi que l’une des causes du silence vient de la méconnaissance : on ne sait pas grand-chose sur l’ampleur du phénomène, et encore moins sur les fermes qui sont touchées.

« J’ai essayé, longtemps, de réunir des éléments par moi-même, explique-t-il à WikiAgri. Mais c’est difficile, je ne dispose d’aucun moyen à ma disposition, et j’en suis réduit à des approximations ou à des extrapolations. Je souhaite donc qu’une étude sérieuse, sans la moindre arrière-pensée, soit menée. Non seulement pour chiffrer l’ampleur du phénomène, mais encore pour identifier des typologies : connaître les taux de suicides par secteurs géographiques, mais aussi par type d’exploitations (grandeur, culture, forme juridique associative ou individuelle…). De cette manière, avec des connaissances approfondies, précises, il deviendra possible d’agir préventivement sur les foyers présentant les risques les plus élevés.« 

Les chiffres officiels sur le suicide en agriculture ne sont en effet que fort lointain dans le temps (il faut remonter à 2009), et uniquement globaux. De plus, ils ne prennent en compte que les suicides déclarés comme tels, alors que l’on sait que notre système est tel qu’il vaut souvent mieux pour les familles déclarer un accident, de manière à faire fonctionner les assurances avec moins de retenue… Ce que demande Jacques Jeffredo, donc, ce sont des « chiffres réels », et surtout « renseignés« .

Les huit autres propositions de Jacques Jeffredo

Sur son compte Facebook, Jacques Jeffredo a par ailleurs développé huit propositions, issues d’autant de problèmes identifiés. Nous vous les livrons telles qu’il les a développées :

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1 ) problème : fiscalité sur le remboursement des emprunts bancaires par les assurances lors d’un suicide ou d’une mort d’accidentelle ou maladie. Actuellement le remboursement entre dans le compte de résultat de l’entreprise individuelle, donc génère un bénéfice d’un montant très conséquent. Donc les ayants droit sont imposés jusqu’à 45 % des sommes remboursées et il arrive parfois qu’une veuve soit obligée de vendre sa maison pour payer l’impôt sur le revenu. Proposition : défiscaliser ces remboursements.

2) problème : pour une banque, un suicide est plus intéressant qu’un dépôt de bilan car elle récupère son capital par les assurances. Proposition : les sommes remboursées doivent aller dans un fonds d’indemnisations pour les veuves et les orphelins afin d’éviter des courriers ou pressions. Que systématiquement une enquête approfondie soit menée sur la base de l’article 223-13 du code pénal (aucune condamnation à ce jour).

3) injustice vis-à-vis des conséquences pour les proches. Pour un salarié d’entreprise, lors d’un décès suite à un accident du travail, la famille touche des dommages et intérêts de la part de l’entreprise (rente, réparations pour préjudice moral…). Puisque le suicide est considéré comme accident du travail, les exploitants doivent avoir la même considération que dans le monde du travail en général. Proposition : versement d’indemnités du même ordre pour les agriculteurs.

4) de nombreux suicides de proches de suicidés. (exemple : un père de 65 an se suicide le jour de l’enterrement de son fils !) Proposition : mise en place d’une cellule psychologique, le jour même du drame, financée par la MSA.

5) difficultés rencontrés par les orphelins dans leurs études et l’accession au monde du travail pour diverses raisons. Proposition : reconnaissance du statut de pupille de la nation pour les orphelins de victimes de guerre économique.

6) inhumanité des administrations, banques… Suite à un suicide (courriers et appels téléphoniques de ces administrations avant l’inhumation du défunt) Proposition : interdiction de demander toute démarche administrative autre que les obligations habituelles en cas de décès pendant une période de 10 jours suivant le drame, prolongée d’une période de 10 jours pour les courriers concernant l’entreprise.

7) Le règlement des différents droits de succession est excessivement long pour les cas de suicides en particulier pour ce qui concerne l’envoi des dossiers aux notaires (volonté sous-jacente des cabinets comptables et bancaires gérés par les chambres consulaires de mettre aux abois les ayants droits. Témoignages nombreux de notaires en ce sens). Proposition : obligation à tous les organismes concernés de traiter ces dossiers dans un délai maximum sous peines d’amendes.

8) détresse des retraités de l’agriculture (cas de suicide pour une retraite de 300 € par mois et n’ayant pas droit aux aides d’assistantes à domiciles parce que propriétaire de fonciers ne rapportant rien. 150€/an et par ha pour 1500€ pour une ferme de 10 ha). Proposition : retraite équivalente au minimum vieillesse même pour les propriétaires de moins de 50 ha et droit aux prestations sociales comme toutes les autres csp.
« 

Des réflexions inédites

C’est la première fois que de telles réflexions sont menées sur ce sujet. Sans doute ne sont-elles pas parfaites, mais elles ont tout de même plusieurs mérites. D’abord, elles émanent de personnes totalement désintéressées qui connaissent l’un et l’autre parfaitement le sujet. Ensuite, l’urgence de la situation oblige à ne plus fermer les yeux, ni à tergiverser sans cesse : là, on a du concret. Et un politique responsable peut parfaitement demander aux fonctionnaires qu’il contrôle de chiffrer les différents engagements demandés pour ensuite établir un plan de mise en place. Certaines propositions de Jacques Jeffredo peuvent être rapprochées de la réflexion de Marie Le Guelvout, d’autres s’en détachent…

Mettre, ne serait-ce qu’une journée, différents protagonistes autour d’une table pour en tirer un plan d’action concret de réponse aux demandes des familles endeuillées et au-delà de prévention du suicide en agriculture, réaliser cette rencontre donc devient désormais possible mais aussi utile, puisqu’il existe une base de réflexion fournie dans cet article.

Quel élu, ou responsable nommé, suffisamment haut placé prendra-t-il la responsabilité de lancer officiellement ce débat ?

 

En savoir plus : https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1764608637173084&id=100008718935214 (lien vers les propositions de Jacques Jeffredo sur son compte Facebook) ; https://wikiagri.fr/tags/suicide_des_agriculteurs (ensemble des articles de WikiAgri traitant du suicide en agriculture) ; https://wikiagri.fr/articles/suicide-agricole-la-conscience-gagne-(enfin)-du-terrain/15892 (en particulier, résumé de la troisième édition de la journée d’hommage aux familles agricoles endeuillées par un suicide).

Tous les articles de WikiAgri concernant le suicide en agriculture : https://wikiagri.fr/tags/suicide_des_agriculteurs.

Notre photo : c’était le dimanche 8 octobre dernier, lors de la journée dédiée aux familles endeuillée. Jacques Jeffredo, au centre, explique aux agriculteurs et familles présents son point de vue issu des (trop) nombreux témoignages qu’il a pu recevoir. A sa droite, habillée en blanc, Marie Le Guelvout.

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