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Démographie, malnutrition, pauvreté, les grands défis pour les agriculteurs

Pour l’ONU, la démographie, la malnutrition et la pauvreté devraient être trois défis majeurs auxquels le monde agricole aura à faire face au XXIe siècle, notamment dans les pays pauvres. Cela, en raison d’une croissance démographique mondiale soutenue.

L’Organisation des Nations unies (ONU), à travers plusieurs publications, notamment d’institutions spécialisées (FAO, Banque mondiale), ou initiatives récentes, a rappelé l’existence de trois grands défis auxquels le monde agricole devrait être confronté tout au long du XXIe siècle.

Le premier de ces défis est celui de la croissance démographique à l’horizon 2050, et même 2100, et donc du nombre de bouches supplémentaires à nourrir. Cette partie s’appuiera notamment sur un entretien que François Pelletier, chef de la section des « Estimations et projections de population » de la division de la population du département des affaires économiques et sociales de l’ONU, qui a produit les dernières projections des Nations unies en matière démographique, a accordé à WikiAgri.

Le deuxième est celui de la lutte contre la malnutrition avec l’ambition affichée par la communauté internationale d’éradiquer totalement la faim dans le monde dans les décennies à venir.

Et le troisième est celui de la lutte contre la pauvreté dans le monde rural.

9,7 milliards d’habitants sur la planète en 2050

Depuis la fin des années 2000, il est admis que l’on va devoir nourrir 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050 et qu’il sera nécessaire d’accroître en conséquence la production agricole mondiale. La FAO estimait ainsi en 2009 que celle-ci devait croître d’environ 70 % entre 2005-2007 et 2050 pour pouvoir satisfaire cette demande alimentaire croissante.

Même si certaines évaluations remettent en cause ce dernier chiffre, ce qui a changé entretemps, ce sont les projections relatives à la population mondiale à l’horizon 2050 puisque l’ONU a publié de nouvelles estimations en 2012 et, plus récemment, en juillet 2015 (The 2015 Revision of World Population Prospects). Lorsque la FAO a effectué son estimation, l’ONU estimait, en effet, que la population mondiale devait s’établir à 9,1 milliards en 2050. Or, en 2015, l’ONU projette que cette population s’élève à 9,73 milliards en 2050, selon ce que l’organisation appelle le « scénario moyen ». La population mondiale, qui compte actuellement 7,35 milliards d’habitants, devrait ainsi continuer à croître (graphique 1), même si c’est à un rythme moins rapide que lors des décennies précédentes, pour atteindre 8,5 milliards en 2030, 9,73 milliards en 2050 et 11,21 milliards en 2100.

Graphique 1 : projections de la population mondiale de 2015 à 2100, en milliards d’habitantsSource : ONU.

D’autres scénarios sont cependant envisagés par l’ONU (graphique 2). Selon l’hypothèse la plus pessimiste, la population mondiale pourrait ainsi s’élever à 10,8 milliards en 2050 et à 16,6 milliards en 2100. Cela signifie que la population mondiale serait multipliée par plus de deux d’ici la fin du siècle. Même si ce scénario est loin d’être le plus probable, il est évident que, dans ce contexte, la sécurité alimentaire mondiale serait alors gravement mise en cause. Cela tend à démontrer en tout cas à quel point les enjeux démographiques apparaissent cruciaux pour l’avenir et la survie de l’humanité.

Graphique 2 : projections de la population mondiale de 2015 à 2100 selon différents scénarios, en milliards d’habitants Source : ONU.

Bien entendu, ainsi que l’affirme François Pelletier (ONU), « plus l’horizon de la projection est éloigné, plus l’incertitude est élevée ». Il estime d’ailleurs à ce propos que « les projections jusqu’en 2100 sont utiles pour les personnes qui travaillent sur les questions environnementales, mais j’essaie d’encourager les utilisateurs de regarder les résultats jusqu’en 2030, 2050 ou au plus 2075, selon les besoins ».

Alors doit-on vraiment se fier à ces chiffres ? D’après François Pelletier, « La croissance démographique au niveau mondial jusqu’en 2050 est quasi inévitable, même si l’on considère un déclin de la fécondité plus rapide que celui prévu par le scénario moyen. Il y a une probabilité de 80 % que la population du monde soit entre 8,4 et 8,6 milliards en 2030, entre 9,4 et 10 milliards en 2050 et entre 10 et 12,5 milliards en 2100. »

Cette progression de la population mondiale devrait concerner en premier lieu l’Afrique. Selon les projections de l’ONU, la population du continent africain pourrait ainsi doubler d’ici à 2050 et même quadrupler d’ici la fin du siècle : 1,19 milliards en 2015, 1,68 milliards en 2030, 2,48 en 2050, 4,39 milliards en 2100. Le contraste devrait être particulièrement frappant par rapport à une population européenne, qui, elle, devrait diminuer tout au long du siècle (graphique 3).

Graphique 3 : projections des populations asiatique, africaine et européenne de 2015 à 2100, en milliards d’habitants Source : ONU.

Le classement des pays les plus peuplés du monde à l’horizon 2100 montre aussi à quel point on pourrait assister à une spectaculaire montée en puissance de la population des pays africains (tableau).

Tableau : les 12 Etats les plus peuplés du monde, en millions d’habitants, en 2015 puis en 2100Source : ONU. Les pays africains sont signalés ici en gras.

Eradiquer la faim dans le monde d’ici à 2030

En septembre dernier, la communauté internationale s’est également donné d’ambitieux objectifs en adoptant à l’unanimité à l’Assemblée générale des Nations unies les Objectifs de développement durable (ODD). Ceux-ci sont au nombre de dix-sept et remplacent les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Les OMD, qui avaient été adoptés en 2000, étaient censés couvrir la période 2000-2015. Ils prévoyaient, par exemple, une réduction de moitié de la population sous-alimentée entre 1990 et 2015, objectif qui a été atteint. Mais, avec les ODD, la communauté internationale s’est donné de nouveaux objectifs encore plus ambitieux pour la période 2015-2030. Nombre d’entre eux concernent l’alimentation et l’agriculture. Le principal est l’objectif « faim zéro ».

Il s’agit du deuxième objectif des ODD. Il vise tout simplement à « éradiquer la faim d’ici 2030 », c’est-à-dire à « mettre un terme à la faim et à la malnutrition sous toutes leurs formes d’ici 2030, en faisant en sorte que toutes les personnes – notamment les enfants et les plus vulnérables – aient accès à une alimentation suffisante en quantité et en qualité, tout au long de l’année ».

Cette initiative n’est pas nouvelle. Le « Défi Faim zéro » a été lancé en 2012 par le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon lors de la Conférence de Rio sur le développement durable. Il comprenait cinq axes, avec en particulier l’objectif de « zéro enfant de moins de deux ans souffrant d’un retard de croissance » lié à la malnutrition. Ce défi s’inspire d’ailleurs du programme « Faim zéro » mis en place au Brésil à partir de 2003 durant la présidence Lula. Il a été une grande réussite et a contribué à réduire la proportion de la population sous-alimentée dans le pays et en particulier la malnutrition infantile.

L’objectif « faim zéro » des ODD implique donc d’améliorer d’ici à 2030 les rendements agricoles, notamment des petits producteurs dans les pays du Sud, tout en préservant les écosystèmes : « doubler la productivité agricole et les revenus des petits producteurs », mais aussi « assurer la viabilité des systèmes de production alimentaire et mettre en œuvre des pratiques agricoles résilientes qui permettent d’accroître la productivité et la production, contribuent à la préservation des écosystèmes, renforcent les capacités d’adaptation aux changements climatiques, aux phénomènes météorologiques extrêmes, à la sècheresse, aux inondations et à d’autres catastrophes et améliorent la qualité des terres et des sols ». Il a également un impact sur les politiques agricoles puisqu’il entend « corriger et prévenir les restrictions et distorsions commerciales sur les marchés agricoles mondiaux, y compris par l’élimination parallèle de toutes les formes de subventions aux exportations agricoles et de toutes les mesures relatives aux exportations aux effets similaires ».

D’autres ODD ont également un lien indirect avec l’alimentation, l’agriculture, mais aussi la pêche, y compris de façon implicite. L’objectif 6 vise ainsi à garantir l’accès de tous à l’eau en améliorant « l’utilisation rationnelle des ressources en eau dans tous les secteurs », ce qui peut concerner le secteur agricole, qui est un gros consommateur d’eau pour l’irrigation. L’objectif 12 relatif aux modes de consommation et de production durables prévoit de « réduire de moitié à l’échelle mondiale le volume de déchets alimentaires par habitant au niveau de la distribution comme de la consommation et réduire les pertes de produits alimentaires tout au long des chaînes de production et d’approvisionnement, y compris les pertes après récolte ». L’objectif 14, qui concerne les océans, les mers et les ressources marines, prévoit d’ici à 2020 de « réglementer efficacement la pêche, [de] mettre un terme à la surpêche, à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et aux pratiques de pêche destructrices » dans l’objectif de « rétablir les stocks de poissons le plus rapidement possible, au moins à des niveaux permettant d’obtenir un rendement constant maximal compte tenu des caractéristiques biologiques ». Enfin, l’objectif 15 sur les écosystèmes terrestres vise à « s’efforcer de parvenir à un monde sans dégradation des sols ».

Un lien établi entre pauvreté, sous-alimentation et faible développement agricole

Le dernier défi est celui de la lutte contre la pauvreté en milieu rural. Deux rapports publiés en 2015 par la Banque mondiale et la FAO nous rappellent, en effet, à quel point les populations rurales dans les pays du Sud forment le gros des bataillons de pauvres dans le monde et la lutte contre la faim et la pauvreté passe par l’amélioration significative de leur productivité et de leurs revenus.

D’après la Banque mondiale, 78 % des personnes en situation d’extrême pauvreté dans le monde (évaluée à 1,25 dollar de parité de pouvoir d’achat par jour) vivaient ainsi en milieu rural en 2010, ce qui représentait plus de 900 millions de personnes. L’un des nombreux symptômes de cette pauvreté est, par exemple, un taux de mortalité infantile plus élevé dans le monde rural qu’ailleurs.

Or, il semble exister un lien très fort entre la pauvreté, la malnutrition et le faible développement agricole. La FAO parle à ce propos de « cercle vicieux de la faim, de la pauvreté et de la faible productivité, qui provoque des souffrances évitables et entrave le développement de l’agriculture et la croissance économique au sens large ». Cette situation concerne des centaines de millions de familles rurales. Plus de 375 millions d’exploitations familiales dans les pays en développement (pays à revenu faible ou moyen) ont ainsi moins de un hectare. Cela représente 74 % des exploitations agricoles de ces pays, tandis que 45 % de leur population active travaille dans le secteur agricole.

Pour la FAO, l’éradication de la faim dans le monde à l’horizon 2030 passe donc par un développement économique, notamment du secteur agricole, des investissements dans ce secteur, mais aussi la mise en place de systèmes de protection sociale. Le rapport annuel de la FAO sur La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, publié au mois d’octobre, est d’ailleurs consacré au rôle de la protection sociale comme moyen de « briser le cercle vicieux de la pauvreté rurale ». D’après la FAO, en 2013, la protection sociale aurait aidé au moins 150 millions de personnes dans le monde à sortir de la pauvreté extrême.

0,3 % du PIB mondial, le prix à payer pour en finir avec la faim

Le développement de l’agriculture dans les pays pauvres constitue par conséquent l’une des principales clefs pour aider les populations à sortir de la pauvreté et de la sous-alimentation. La Banque mondiale indique ainsi que la croissance du secteur agricole est de deux à quatre fois plus efficace pour réduire la pauvreté que celle d’autres secteurs d’activité. Elle a pu constater, par exemple en Afrique subsaharienne, une corrélation entre réduction de la pauvreté et accroissement des rendements agricoles. Ceci est d’autant plus important que l’agriculture représente 57 % de la population active de l’Afrique subsaharienne.

La FAO a même évalué le montant des investissements nécessaires dans l’agriculture, les zones rurales et urbaines et dans la protection sociale pour éradiquer la faim dans le monde. Ceux-ci devraient s’élever à 267 milliards de dollars par an en moyenne, ce qui représente à peu près 0,3 % du PIB mondial. Selon les termes du directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, ce serait « le prix à payer pour en finir avec la faim ».

 

En savoir plus : www.fao.org/fileadmin/templates/wsfs/docs/Issues_papers/HLEF2050_Global_Agriculture.pdf (Global Agriculture towards 2050, étude de la FAO publiée en 2009), http://esa.un.org/unpd/wpp/Publications/Files/Key_Findings_WPP_2015.pdf (The 2015 Revision of World Population Prospects, prévisions démographiques de l’ONU publiées en juillet 2015), www.un.org/fr/millenniumgoals/ (site consacré aux Objectifs du millénaire pour le développement), www.undp.org/content/undp/fr/home/mdgoverview/post-2015-development-agenda.html (informations officielles sur les Objectifs de développement durable), www.un.org/fr/zerohunger/#&panel1-1 (site consacré au Défi Faim zéro), www.fao.org/3/a-i4910f.pdf (La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Protection sociale et agriculture : briser le cercle vicieux de la pauvreté rurale, rapport de la FAO publié en octobre 2015), www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2015/06/03/090224b082eed2bb/2_0/Rendered/PDF/Ending0poverty0e0global0food0system.pdf (Ending Poverty and Hunger by 2030. An Agenda for the Global Food System, rapport de la Banque mondiale publié en avril 2015).

Ci-dessous, une population toujours plus importante à nourrir, le grand défi de l’agriculture au XXIe siècle (ici un village à vocation agricole en Chine).

1 Commentaire(s)

  1. Bravo pour cet article qui met bien en évidence que le handicap majeur pour nourrir la population mondiale est bien sa croissance excessive… Il en va de même pour les problèmes environnementaux et en particulier pour la question du réchauffement climatique auquel il sera beaucoup plus dur de faire face si l’on ne stabilise pas au plus vite la population mondiale. Voir d’ailleurs ce que dit l’ONG Démographie Responsable sur tous ces sujets et les conférences qu’elle tiendra à la veille de la COP21.

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