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Au lycée de Chambray, expérimentations à grande échelle

Réduire les intrants tout en restant représentatif des exploitations de la région, c’est la philosophie qu’a adoptée la ferme du lycée agricole de Chambray, en Haute-Normandie. Agriculture intégrée, de précision, biologique, agroforesterie et maintenant, agriculture de conservation : de nombreux systèmes sont testés, avec des résultats économiques à la clé. Et les agriculteurs normands adhèrent.

« Le Sud de l’Eure est une région céréalière au contexte pédoclimatique très défavorable : nous avons 450 mm d’eau par an et des terres très hétérogènes. Il y a une vraie problématique azote, la plupart des captages frôlant les 50 mg/L. Depuis quelques années, on réalise qu’il y a le même problème du côté des produits phytosanitaires. » Lorsque Patrice Duhamel, responsable de l’exploitation de l’EPL de Chambray, présente la situation locale, on comprend pourquoi il attache tant d’importance à la conception de systèmes de culture économes en intrants.

Malgré des difficultés liées aux éléments naturels, la productivité des parcelles reste bonne : en blé, on obtient 85 quintaux/ha en moyenne. Et la problématique environnementale n’est pas la préoccupation majeure. « Dans le secteur, environ 65% de l’assolement est en blé, 25% en colza. Les exploitants ont une orientation économique qui roule, et ils ne cherchent pas forcément à en changer. Ils n’imaginent pas que ce que nous expérimentons au lycée est transposable chez eux. »

Jusqu’à la fin des années 90, l’exploitation est « dans le moule du secteur ». A cette époque elle met en place une démonstration « agriculture durable » qui intègre un diagnostic de durabilité. A partir de là, les expérimentations vont s’enclencher, les unes après les autres, grâce à des partenariats forts, jusqu’à s’étendre à une grande partie de l’exploitation (230 ha). En 2001, 23 ha sont convertis en bio. En 2004, un partenariat avec le GrCeta permet de tester l’agriculture de précision sur 100 ha, et 50 ha sont, sur proposition de la Chambre d’Agriculture, passés en agriculture intégrée. En parallèle, la rotation se diversifie : blé-orge-colza-blé–féverole. « Vue la pluviométrie extrêmement faible, développer les cultures de printemps aurait été anti-démonstratif ! » précise Patrice Duhamel.

Lorsque, en 2009, le ministère de l’Agriculture lance le volet pédagogique du plan Ecophyto (action 16), il voit cela comme une opportunité pour renforcer ce qui était déjà mis en place. « L’action 16 était la suite logique des évènements. On nous donnait les moyens financiers et le soutien technique pour aller plus loin. » Ainsi, 67 ha supplémentaires sont passés en bio, ce qui permet da labelliser le troupeau allaitant. En agriculture de précision, les IFT sont réduits de 25-30 %. Pour l’agriculture intégrée, les parcelles sont menées avec plus de rigueur ce qui permet de réduire de 20 à 30 % la quantité d’intrants utilisés.

Rendements, 5 à 10 quintaux de moins

Sur le terrain, l’exploitation a mobilisé des leviers agronomiques variés. Sur le blé, le choix s’est porté sur une variété rustique, Albiko (en remplacement de Rubisko), semée plus tard (après le 15 octobre) avec une densité de semis plus faible et une fertilisation azotée réduite au printemps. La biomasse réduite (on passe de 650 épis/m² à 500 mais les épis sont plus gros) diminue les risques de propagation des maladies. Cette stratégie permet de n’épandre qu’un seul fongicide contre 2 à 3 en moyenne pour la région, pour un rendement inférieur de 5 à 10 quintaux.

La présence de féverole dans la rotation éviterde maintenir le même cortège d’adventices sur les parcelles.

La réintroduction du labour sur les parcelles a permis de réduire significativement les doses de glyphosate. Enfin, Le désherbage mécanique (houe rotative + herse étrille) est un succès sur la féverole et le colza. Ces cultures n’utilisent donc aucuns herbicides.

Réintroduction du labour

L’IFT de  Haute-Normandie, toutes cultures confondues, est de 5,8 : 1,7 traitements herbicides et 4,1 traitements « hors herbicides ». A Chambray, l’exploitation est passée d’un IFT de 4,8 en 2002 à 1,7 en 2012. Si la conversion à l’agriculture biologique y est pour quelque chose, les efforts menés sur autres parcelles (évolution de la rotation, choix des dates et densités de semis, outils de désherbage mécanique) sont également à prendre en compte.

Avec 151 unités d’azote à l’hectare contre 190 unités minimum pour la moyenne régionale, on peut dire que la fertilisation azotée sur blé est aujourd’hui maîtrisée. La réduction de dose au premier apport (stade tallage) ne pénalise pas le rendement.

Côté charges, elles sont en moyenne de 300-350 €/ha pour les exploitations régionales, d’après le centre de gestion du secteur. Elles s’élèvent à 200 €/ha pour l’exploitation de Chambray.

Des expérimentations reconnues

En 2013, l’exploitation a décidé de présenter ses résultats technico-économiques lors d’une journée de retour d’expériences. « Nous avons accueilli 80 agriculteurs dans l’amphithéâtre, ce qui était bien au-delà de nos attentes, et personne n’a émis de critiques négatives. Les professionnels ont mentionné que notre exploitation expérimente, et que ces expérimentations sont utiles », explique Patrice Duhamel.

Une reconnaissance qui a motivé l’exploitation à tenter l’agriculture de conservation. « Nous étions en non labour depuis toujours, mais l’agriculture de conservation intègre également une couverture du sol permanente, ce qui va nous demander plus de réflexion et d’expérimentation. »

La décision a également été prise de planter 6 ha en agroforesterie dès 2014 ; les élèves de BTS ACSE (Analyse et Conduite des Systèmes d’Exploitation) ont participé au projet en choisissant les essences à planter, l’espacement entre les arbres. Les élèves, guidés par leur professeur d’agronomie Jean Robert Monroval (membre de l’AFA, association française d’agronomie) ont également été force de proposition pour l’élaboration de scenarii d’évolution pour diminuer les intrants utilisés, et suivent les expérimentations mises en place sur les cultures. L’agronome a également été à l’initiative de la participation de l’exploitation au projet pédagogique BiodivEA, terminé en 2013, et qui visait à mieux prendre en compte la biodiversité dans les pratiques agricoles.

 

Les photos qui illustrent cet article ont été fournies par Patrice Duhamel. Ci-dessous, les élèves du BTS qui règlent le pulé, puis une moisson de féveroles, puis un semis direct de féveroles dans un couvert de favélies.

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